Evènement Live – Jean-Jacques Goldman

Un entretien avec Jean-Jacques Goldman est un véritable événement tant l'artiste est avare de confidences. Plus rare encore est sa présence en couverture de magazines. Pour Carrefour Savoirs, l'artiste a pourtant rompu le silence, s'exprimant avec chaleur et sincérité, et acceptant de poser pour une couverture qui restera dans les annales de notre magazine. Jean-Jacques Goldman dans Carrefour Savoirs, c'est peut-être également pour l'artiste une manière de remercier le public qui l'accompagne avec une égale ferveur depuis deux décennies. Un public fidèle qui témoigne de sa passion sur le double album live qui vient de sortir, souvenir d'une tournée exceptionnelle qui rassembla plus de 800000 spectateurs pendant 125 concerts.

Quelque 125 dates de concerts et plus de 800000 spectateurs pour cette tournée. La complicité avec votre public est toujours intacte, voire plus importante. Comment expliquez-vous cela?

L'essentiel du public est resté le même. Il y a quelques jeunes qui constituent un nouveau public mais, ce qui est notable, c'est avant tout la fidélité des gens du début. J'ai l'impression de les retrouver tournée après tournée et c'est ce qui explique que ça se passe de façon si intime. Moi, j'ai l'impression de les connaître et nos relations sont donc plus faciles, plus détendues. Je me souviens de la première tournée que j'ai faite, on ne se connaissait pas, on avait un peu du mal et, peu à peu, la complicité s'est faite avec le public.

On peut imaginer que ce public fidèle qui vous suit maintenant depuis vingt ans a transmis sa passion de Jean- Jacques Goldman à ses enfants?

C'est sûr que c'est une chose qui se transmet. De la même façon, notre génération a écouté les Compagnons de la chanson, Georges Bras­sens et d'autres parce que les parents les écou­taient.

Avec le recul, on se dit que vos textes commencent à devenir intemporels, il n'y a pas de phénomène de mode, donc ça peut toucher les générations d'au­jourd'hui.

Oui, je pense que c'est un peu le cas de tout le monde. Quels que soient les auteurs on a les mêmes préoccupations en passant de Souchon à Renaud. En fait, on dit un peu la même chose tout le temps.

Les thèmes de vos chansons sont nombreux et variés. Pourtant, ils défen­dent souvent l'idée de tolérance, d'ou­verture sur les autres, par opposition à l'exclusion, au rejet.

Ces thèmes sont vraiment les miens car ils se rapportent aux questions de l'existence de ma famille. Le fait que mes parents soient partis de leurs pays pour fuir l'oppression (voir repères N.D.L.R.) et qu'ils soient arrivés dans un pays, la France, qui a été celui de l'accueil. Finalement, dans les chansons on parle non seulement de ce qu'on connaît, mais de ce dont on nous a parlé au début de l'existence. Je parle beaucoup de route, de départ, d'appartenance parce que ça a été aussi ma réalité à travers le parcours de mes parents.

En écoutant vos chansons, on ressent la cohabitation d'un optimisme véri­table et d'un aspect plus sombre, plus nostalgique, plus grave...

J'ai l'impression d'avoir hérité de mes parents d'une joie de vivre et d'une conscience de la chance de vivre, disons instinctive. Ça, c'est peut-être le côté positif. C'est un héritage, on ne choisit pas ces choses-là. Ily a des gens qui se lèvent et sont heureux et d'autres qui sont angoissés. Par contre, c'est vrai que l'observa­tion du monde contemporain et de ce qui se passe met un peu plus de gris dans ce ciel bleu, dans mon ciel bleu. Donc, effectivement, il y a la cohabitation des deux.

Votre succès, extraordinaire, vous des­tinait à devenir un personnage égo­centrique, égoïste. Finalement, c'est exactement l'inverse qui s'est produit. Vous avez toujours privilégié le travail en équipe, vous avez partagé l'affiche avec Michael Jones et Carole Fredericks et on connaît vos engagements, entre autres, pour les Restos du coeur. Com­ment avez-vous résisté à la pression du succès ?

Je crois que c'est simple. J'ai fait mon premier album en 1981, j'avais 30 ans. Ça faisait sept ans que je travaillais dans un magasin de sport, j'avais fait des études avant, j'étais marié, j'avais deux enfants. Donc, ma vie d'adulte était déjà engagée. Tout ce qui m'est arrivé par la suite ne m'a plus transformé. Ce n'est pas que je ne croie pas à tout ce métier mais moi, dès que je finis une tournée, dès que je termine un album, dès que je vais me promener, faire des courses, j'oublie qui je suis censé être. Ma réalité, elle est celle de l'enfance, de l'adolescence. Quand je rentre de vacances en Espagne ou en Italie, où j'étais dans l'anonymat le plus complet, lors­qu'on me demande un autographe, je suis sur­pris à chaque fois. Ma réalité à moi, elle est celle des trente premières années. Ce sont des années qui vous marquent pour la vie et font de vous ce que vous serez toujours.

Un autre aspect de votre personnalité est étonnant, c'est cette « boulimie » de travail. Vous êtes toujours entre deux projets, deux disques, deux pro­ductions, deux tournées...

Auparavant, dans les années 1960, Johnny ou France Gall tournaient onze mois sur douze. Ensuite, il y a eu l'époque des galas, c'est-à-dire que les artistes faisaient un ou deux concerts par semaine. Ma génération d'artistes ne fait pas ça. On s'arrête pendant quatre ans et ensuite on part en tournée, parce que ce sont des grosses infrastructures, des grosses salles et donc on part effectivement pen­dant six mois de suite. Ça fait à peu près 120 concerts. Cela me semble normal parce qu'après on s'arrête pen­dant plusieurs années. C'est simplement plus concentré. Ensuite pour les composi­tions, je me rends compte que je ne fais pas plus d'une chanson par mois. Je fais un album tous les quatre ou cinq ans, alors qu'avant, les artistes faisaient un album tous les ans, voire tous les six mois. Je ne suis donc pas si boulimique que cela.

Revenons sur ce live qui sort et qui s'intitule Un tour ensemble. La pochette, le boitier, on ne sait pas comment l'ap­peler, est aussi une visionneuse qui permet de voir quinze diapos grand format de vos concerts. D'où vient ce besoin de donner toujours un aspect original, voire un peu fou à vos pochettes de disques?

Alors d'abord, sachez que je suis tout à fait inapte à ce qui est visuel. Par contre, j'ai un sou­venir très ému des pochettes de disques vinyle, celles qui étaient un peu spéciales comme la fermeture éclair des Stones pour Sticky Fingers. J'avais donc cette nostalgie-là et j'en ai parlé à un collaborateur qui s'appelle Alexis Grosbois. Il est très versé et très doué dans tout ce qui est visuel et mon seul rôle dans ce projet de boîtier avec les diapositives, c'est l'envie et le fait de pouvoir l'imposer ensuite.

Vous semblez très attaché à votre liberté. Liberté de choisir, liberté d'agir.

Oui, c'est vrai, c'est mon luxe. Je n'ai jamais rêvé d'être une très grande vedette, de gagner énor­mément d'argent et pouvoir me taper toutes les filles du monde mais, par contre, souvent je rêvais, quand j’étais ado, de choisir l'endroit et les gens avec lesquels je travaillerais. C'est devenu réalité et c’est une grande chance.

Avez-vous le trac avant la sortie d'un album en public? Est-ce un enjeu com­me la sortie d'un album studio?

Pour moi, c'est juste un souvenir. Je les réécoute parfois, par hasard. Mon but n'est pas de vendre des millions de disques. Cet album existe pour les gens qui sont venus et, pour moi en particulier, c'est pour avoir un souvenir de ce moment-là et des versions de chansons qui n'existent que sur ce disque. Et puis on a refusé pas mal de monde pendant la tournée, et c'est peut-être aussi pour ceux qui n'ont pas pu venir, une façon d'y accéder.

Avoir, comme vous, un public, est-ce un capital? Pensez-vous « j'ai mon public » ou repartez-vous à zéro à chaque fois pour le reconquérir?

Je dirais ni l'un, ni l'autre. |e n’ai jamais la sen­sation d’avoir mon public, j'ai l'impression que c'est un public qui est très indépendant. C'est- à-dire que ça lui plaît ou ça ne lui plaît pas. Je le ressens sur scène, ils sont très critiques. Pas dans le sens négatif, mais je ne peux pas leur dire n'importe quoi. Ce sont vraiment des êtres responsables et indépendants, je n'ai pas l'impression qu'ils m'appartiennent. En même temps, j’ai l'impression d'avoir avec eux une relation d'une quinzaine d’années, ce sont des gens que j'ai déjà vus en concerts. Forcément, il y a une intimité qui s'est créée et une conni­vence qui se voit donc sur scène.

Quand on entend les premières notes d’une chanson et qu'ils reprennent ça à des milliers, vous avez le sentiment que vos chansons ne vous appartien­nent plus?

Quand je les chante, j’ai l'impression quand même qu'elles m'appartiennent. Mais ce qui m'émeut le plus, c'est quand je suis dans la salle et que j’entends un interprète chanter mes chansons et que tout le monde les reprend. C'est vraiment ce qui me bouleverse le plus.

S'il vous fallait retenir deux ou trois chansons dans votre répertoire, ce seraient lesquelles?

Il y a II suffira d'un signe, car je trouve que cette chanson est bien foutue. |e serais content de la refaire maintenant Et puis c'est vrai que c'est la première. C'est celle que j'ai toujours faite sur scène. Il y a également le te donne qui est une chanson que j'ai adorée. C'est peut-être la chanson que j'ai aimé le plus écouter après l'avoir enregistrée. Ensuite il y a deux autres chansons dont je suis fier c'est Fille facile et Né en 17 à Leidenstadt.